Un robot recruteur va-t-il vous embaucher pour votre prochain emploi ?

29 novembre, 2019


IA sélection embauche candidat

 

Les abus de l’intelligence artificielle dans la sélection des candidats pour un job.

 

De simples êtres humains ont-ils une chance contre un logiciel qui prétend révéler ce qu'une vraie conversation en face à face ne peut pas révéler ?

 

L'IA (intelligence artificielle) est utilisée par des entreprises pour réduire le coût de la recherche des bons profils de candidats.

 

Selon le psychologue Nathan Mondragon, la méthode pour trouver le bon employé c'est de regarder les détails, des dizaines de milliers de petits détails.

 

Mondragon est « psychologue en chef » chez HireVue, qui commercialise un logiciel de sélection des candidats. Son produit phare, utilisé par Unilever et Goldman Sachs, demande aux candidats de répondre aux questions d'entretien devant une caméra. Pendant ce temps, son logiciel, comme une équipe de psychologues aux yeux de faucon se cachant derrière un miroir, prend note de changements à peine perceptibles dans la posture, l'expression du visage et le ton de la voix.

 

"Nous divisons les réponses que les gens donnent en plusieurs milliers de points de données, en indices verbaux et non verbaux ", dit Mondragon. "Si vous répondez à une question sur la façon dont vous dépenseriez un million de dollars, vos yeux auraient tendance à se déplacer vers le haut, vos signaux verbaux se tairaient. Votre tête s'inclinerait légèrement vers le haut avec vos yeux."

 

Le programme transforme ces données en un score, qui est ensuite comparé à celui que le programme a déjà "appris" des employés les plus performants. L'idée est qu'un bon candidat ressemble beaucoup à un bon employé actuel, mais en aucun cas un intervieweur humain ne le remarquerait.

 

Problème : des approches comme l'analyse vocale et la lecture de micro-expression ont été appliquées dans le domaine de la police et du renseignement avec peu de succès flagrant.

 

M. Mondragon affirme toutefois que les analyses automatisées se comparent favorablement aux tests de personnalité et d'aptitudes (des tests « plus classiques »), et que les clients font état d'un meilleur rendement des employés et d'un roulement des effectifs moindres (turnover en anglais).

 

HireVue n'est que l'une des nombreuses nouvelles entreprises qui vendent l'intelligence artificielle pour remplacer le côté humain qui rend le processus de l'embauche très coûteux. L’entreprise estime que le marché de l'évaluation pré-embauche est de 3 milliards de dollars par an.

 

Une étude menée au Royaume-Uni a révélé qu'il y avait en moyenne 24 candidats par emploi faiblement rémunéré. Tesco, le plus grand employeur privé du pays, a reçu plus de trois millions de demandes d'emploi en 2016. Avec l'augmentation du nombre de demandes, les employeurs ont automatisé autant que possible le processus. Cela a commencé il y a plus d'une décennie avec des programmes simples qui scannaient les CV papier à la recherche de mots clés. Cela a été élargi pour inclure des quizzes, des tests psychométriques (test de raisonnement par exemple), des jeux et des chatbots (logiciel simulant une conversation) qui permettent de rejeter des candidats avant même qu'un humain ne jette un coup d'œil à leur CV. Les demandeurs d'emploi sont obligés de se préparer au processus de recutement qu'un employeur potentiel a choisi. Et sans interaction humaine ou rétroaction, un processus déjà difficile est devenu profondément aliénant.

 

Au-delà de l'expérience déshumanisante, se cachent les préoccupations habituelles de l'automatisation et de l'IA, qui utilisent des données souvent modelées par l'inégalité. Si vous pensez avoir été discriminé par un algorithme, de quel recours disposez-vous ? Dans quelle mesure ces formules sont-elles vulnérables aux préjugés ? Et est-il inévitable que les candidats non « traditionnels » ou ceux qui ont du mal avec les nouvelles technologies, soient exclus d’un processus d’embauche ?

 

"C'est un peu déshumanisant, de ne jamais pouvoir joindre un employeur ", dit Robert, un plombier d'une quarantaine d'années faisant parti d’une association de recherche d’emploi. Il a recours à des sites d'offres d'emploi et de recruteurs pour trouver du travail temporaire. Harry, 24 ans, est à la recherche d'un emploi depuis quatre mois. Dans le commerce de détail, "presque toutes les offres d'emploi" nécessitent un test ou un jeu. Il en fait quatre ou cinq par semaine. Les rejets sont souvent instantanés, s'accumulent sans un mot de retour. Chaque fois que vous recommencez à zéro. "On ne sait jamais ce qu'on a fait de mal. Vous vous sentez un peu pris au piège ", dit Harry.

 

Le problème est pire pour les demandeurs d'emploi plus âgés. Bon nombre d'entre eux comptent sur l'appui de services bénévoles pour les aider à remplir leur demande. "C'est une grande barrière. Pourquoi s'attend-on soudain à ce qu'un maçon âgé ait des compétences en informatique ? demande Lynda Pennington, qui organise une autre association pour l'emploi à Croydon.

 

Après 86 demandes d'emploi infructueuses en deux ans - y compris plusieurs sélections par HireVue - Deborah Caldeira est complètement dégoutée des systèmes automatisés. Sans une personne de l'autre côté de la table, il n'y a pas de véritable conversation ou échange, et il est difficile de savoir exactement ce que le robot recherche, dit Caldeira, qui est titulaire d'un master de la London School of Economics.

 

Malgré ses qualifications, elle s'est retrouvée à s'interroger sur chacun de ses mouvements alors qu'elle était assise seule à la maison à parler devant un ordinateur. "Cela nous donne l'impression que nous n'en valons pas la peine, car l'entreprise ne peut même pas affecter une personne pendant quelques minutes. Tout cela devient de moins en moins humain ", dit-elle.

 

Une contre-attaque contre l'automatisation a émergée, alors que les candidats cherchent des moyens de contourner le système. Sur les forums Web, les étudiants échangent des réponses aux tests des employeurs et créent de fausses applications pour évaluer leurs processus. Un employé RH d'une grande entreprise de technologie recommande de glisser les mots "Oxford" ou "Cambridge" dans un CV en texte blanc invisible, pour passer le test automatisé.

 

Selon Christina Colclough, directrice de la numérisation et du commerce à UNI Global Union, une fédération syndicale internationale, des mesures sont en cours pour faire pencher la balance du pouvoir vers ceux qui cherchent du travail. Elles comprennent une charte des droits numériques pour les travailleurs. Cette charte traiterait des décisions automatisées et fondées sur l'IA, et devrait être incluse dans les conventions collectives.

 

Une mise à jour du règlement général de l'UE sur la protection des données exigera qu'une entreprise divulgue chaque fois qu'une décision qui "affecte de manière significative une personne" a été automatisée. Mais une participation humaine minimale - l'approbation d'une liste de CV classés automatiquement, par exemple - pourrait exempter les entreprises de telles réglementations, prévient Sandra Wachter, avocate et chargée de recherche en éthique des données à l'Oxford Internet Institute. Elle note également qu'un "droit d'explication" des décisions automatisées, dont on a beaucoup parlé, ne sera pas juridiquement contraignant.